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L’ÉTÉ EN PENTE DOUCE
Les jours ont passé, sans que rien ne vienne apporter du grain à moudre. Juin tenait les promesses d’un bel été. Mes recherches sur l’oncle Bertrand n’avait rien donné de bien net. J’avais fouillé dans tous les recoins du garage et du grenier, baratiné ses potes, cherché dans leurs souvenirs sans trouver plus que quelques histoires grivoises. C’était un bon vivant. Sur ses activités, il était salarié à la SICA, gestionnaire des silos. Ses copains pensent qu’il arrondissait ses fins de mois en services divers dans quelques domaines des environs. Personne n’était en mesure de me dire où. Caroline non plus n’avançait pas dans ses investigations, menées auprès d’amis communs et de relations professionnelles de « Mondavous ». Avec discrétion bien sûr, car elle avait encore eu droit à une interview gentille mais poussée chez la maison poulaga.
Nous nous téléphonions souvent, sans sortir de prudentes généralités. Pour faire le point de nos recherches et de notre réflexion, c’était uniquement lors de sorties en duo : restaurant, spectacles ou promenades. Notre relation évoluait. Nous partagions nos loisirs avec ses copines ou mes potes, entre le Capitole et la Halle aux grains ; dernièrement un concert d’orgue à Valcabrère et Saint-Lizier ; nous répondions volontiers à l’appel d’événements culturels. Sans sacrifier les randonnées et excursions dans nos Pyrénées, qu’elle découvrait. Je ne sais pas quand nous nous sommes tutoyés, c’est venu tout seul. Moi, je dérivais doucement vers autre chose. Je trouvais assez pénible déjà de se comporter avec la prudence des coupables, mais en plus je voyais bien que de ma « camarade », je souhaitais plus que de l’amitié. Mais avec l’ombre de Vincent… Toujours pas de traces ni nouvelles. En ressassant le texte à l’envi, je m’étais laissé aller à émettre l’idée, au vu de cet incroyable concours de circonstances, et en admettant l’improbable, c'est-à -dire la réalité du délire, que si on peut s’apitoyer sur le sort de Monsieur Vincent, il n’est peut-être pas la victime aussi innocente qu’il prétend être dans son récit. Elle a un peu tiqué. Là j’avais gaffé.
J’ai rattrapé les choses en douceur, ou encore elle a réfléchi que ce n’était pas une hypothèse à rejeter à priori. Un soir, au retour d’une promenade avec Médor sur les bords de Garonne, elle a craqué : trop de tension depuis trop longtemps. Je l’ai consolée et calmée dans mes bras, un pur supplice. Mon copain à quatre pattes s’y est mis aussi. Lui, c’est facile, il l’adore, et il peut le montrer. Elle a dormi à la maison. Dans la chambre d’amis. Mais nos liens sont devenus plus intimes.
Du côté du disparu, le néant, portable muet, cartes de crédit inactives. On en arriverait presque à souhaiter le pire, mais qu’on le retrouve. Ça n’était plus vivable. On s’est quand même laissé vivre, sauf que je n’imaginais plus de vivre sans Caroline…
C’est arrivé la semaine dernière, inévitable, comme une évidence… réciproque. Mieux qu’une étincelle, c’est la foudre en boule qui nous est tombée dessus. Caroline, la femme de ma vie. Nous aurions pu décider d’oublier tout ça, partir, faire notre chemin. Dès le début de notre liaison, nous avons su que c’était bien plus qu’une passade, Mais les dés étaient jetés, nous étions piégés par les circonstances de cette histoire machiavélique. Dedans jusqu’au cou, car le fait de nous fréquenter, puis d’afficher une relation, à fortiori de convoler, ne manquerait pas, si ce n’est pas déjà le cas, d’attirer tôt ou tard des soupçons de vilaine affaire. Insupportable.
Rien n’avance dans les recherches en cours. Nous en sommes réduits à beaucoup de discrétion et ne pouvons envisager de vivre ensemble, comme si nous avions des choses inavouables à cacher. A part la clé, rien. Et en faire état était bien la pire des solutions. Nous n’avons pas fini d’être empoisonnés par cette situation rocambolesque. Une enquête était en cours. Les gendarmes prêtent à sourire avec leurs gros sabots. Apparence trompeuse : ils sont obstinés, compétents sur le terrain et ils ont aussi plein de petites cellules grises sous le képi. Il fallait par nous-mêmes analyser encore et encore, percer le mystère de ce récit abracadabrantesque, pour espérer sortir de ce guêpier. J’en étais arrivé à savoir par cœur le texte et la lettre et ça tournait en boucle jusqu’à la migraine.
A suivre...
Parceval