plumedoiseau
Envoyé le : 20/4/2013 13:29
Plume de platine
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Evocations
EVOCATIONS
Elle porte, sans le vouloir, des cheveux comme ceux des filandières de jadis, des cheveux à chignon guimpé. Un rai de lune exorcise, où qu’elle se tienne, la pâleur du visage. Quant à l’oreille, elle dessine un fœtus où se perdent, lointains, des fils enchevêtrés d’un cantique d’autrefois, ou d’un lai de tendresse. Mon regard s’arrête, s’étonne d’un air d’ailleurs et de présent indicible aux curieux. Le mouvement qui l’anime, dont elle vit, s’étoffe d’un climat de grâce et de contemplation, sans que jamais le jet ardent du sang, sous la chair, ne s’épuise. Comment saisir ce tableau, qu’un diapason de paix habite sans heurt ? Rien ne reste, hormis ce troublant appel balancé par un geste peut-être. Et des couleurs de songes, d’étoiles, fleurissent, irisent les cheveux de ma vie serpentine. Un peigne d’or les coiffe.
Je l’ai rencontrée, non loin d’un mas aux volets de mélèze, arboré d’un micocoulier. Ma mémoire me la rend, me l’esquisse, comme l’ombre d’une forme que le souvenir manifeste en reconnaissance. D’où la connaissais-je ? D’un secret passé ignoré, d’une vie dont les cathédrales, comme un jaillissement d’opium, font exalter les blés en gerbes recueillies ? La source a charrié, pour que rien de finisse sans errer, des nuits d’oublis dont les lettres et les sons, décalqués d’âge en âge, tricotent, pour se peindre, des bouts d’histoires d’eaux. J’y glane une rime, j’y vole quelque treille complice, une rame, où des ailes d’oiseau de feu sont arrimées… Des embruns de mer cendre, par touches d’opaline, glissent doucement, frôlent, pour mieux se fondre, les pastels de mes voiles… Dans mon sommeil de pérégrine millénaire, un profil de prêtresse officie. Je nage vers l’autel de l’oracle. Un doute me traverse et le destin avorte, oublieux de ses Muses. Incertaine des brumes, tour à tour guide ou pèlerin des marées, je vais où l’on n’ose. Le fossé des douves, empoissé de gargouilles démones, me tourmente. Qui est resté aux oubliettes d’antan ? Un homme. Sans cercueil ? Sans pierre ? Latente, ma hantise d’un lien me le donne. J’écoute la voix de l’eau, la voix qui dort à l’heure où s’éveillent d’inconnaissables ténèbres. Pourtant muet des clameurs de fin des choses, son souffle m’avertit. J’entends l’écho d’une rixe meurtrière, l’écho d’une plume qui gratte, épie, puis fige le grimoire. L’attente d’un instant, quand le silence, gourd des froideurs des hivers, se grave si souvent, se fait festin sous l’égide des vents que je chausse dans les matins d’hier. Car j’emporte, châtrée de ma terre, un doux manteau de deuil, de larmes, de souvenances. Où partir labourer les prémices d’un Etre estropié de son sperme, de qui les ossements vivifient, sans qu’ils ne l’aient cru, les sols de nos vies ?
Sur le chemin de ciel arrosé de mes pleurs de sel, je cueille, pour éclore, une âme de moniale. Le lieu où je descends dans le silence m’absorbe, native au monde invisible des Mages. Dans le jardin de mai, la fleur chuchote, ordonne les mots de pain perdus dans le brouillard des Ombres. Alors que je crois m’enliser, je danse, dans ma robe aux teintes de lumière, la séguedille ourlée des cadences des corps. Alors que je m’enclave, je germe des sarments. D’alcôve en mansarde, je promène un ventre à enfanter. Ephémère gestation, impalpables odeurs… La roue des résurgences et des aurores tourne toujours et ressème au passage les oublis oubliés dans nos champs de cimetières.
Tandis que je me meurs, je nais…
… Rien n’existe vraiment, sinon l’eau, le feu, la terre et l’air, permanents dans nos siècles. Et mon image chante ou rêve depuis des lustres. Quels sortilèges de fils se trament dans le temps ? Je reviens, apaisée, aux reflets indéchiffrables d’un portrait de femme. Une femme en gerbe dont je m’habille, dont je me crée. Alors, dans le verger, de sa silhouette oscillante, de sa chevelure de soie qui se dénoue pour qu’ondulent et qu’embrasent nos vagues, nos désirs, nos regrets ou nos cris trop fragiles, un parfum de miel s’exhale…
Anne De May
Octobre 1991
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